Une définition d’un « allié » par Jacques Bardin

« Il existe une autre catégorie de gens : ceux qui ne savent pas faire, ne sauront jamais faire, tout en essayant de faire au mieux : les gens gentils et maladroits. Quelques attentions me facilitent la vie : j’ai besoin qu’on articule, mais pas trop ; certains exagèrent, me montrant le fond du gosier et la luette ; d’autres mettent la main devant la bouche après trois secondes. J’ai besoin qu’on répète, mais sans le faire mot pour mot ; certains insistent en redisant dix fois ce que je n’ai pas compris, se mettant à crier. J’ai besoin qu’on m’appelle doucement, par exemple d’une pression de doigts ; certains m’envoient un grand coup de poing dans le dos, ce qui me fait sursauter et m’irrite si fort que j’en deviens agressif. J’ai besoin qu’on me regarde ; certains me disent quelques mots puis se détournent pour continuer leur propos en regardant quelqu’un d’autre. J’ai besoin qu’on réponde à ma place à une tierce personne, car il serait inutile, ou compliqué, de me répéter la question ou le propos ; cetains laissent un pénible silence s’installer. J’ai besoin enfin qu’un petit code gestuel appuie parfois les phrases, surtout dans le brouhaha d’une pièce ou le bruit de la rue ; certains font de grands moulinets avec les bras : me parleraient-ils de pêche ou de basket ?…

…Enfin, certains sont blessants. Ils exagèrent leurs mimiques, s’énervent quand je n’ai pas entendu, marmonnent, ricanent, me chuchotent des confidences à l’oreille, perlent dans mon dos…. Heureusement ils sont rares. Et j’ai appris à me moquer d’eux »

Dès notre première encontre, ma chère et tendre compagne a su comment se comporter. Sans effort, elle a su me parler, me répéter sans me donner la pénible impression de n’avoir pas compris. Depuis huit et ans et demi maintenant, elle m’apporte son aide et son tact. Elle sait quand je n’ai pas entendu, et le sait même avant moi. Car je crois avoir saisi, alors que je suis à côté de la plaque. Au restaurant, lorsque le serveur, dans mon dos, demande si je ne manque de rien, elle répond à ma place, de telle façon que cela ne surprend pas le serveur. (Je me demande dans le fond si le sourd n’est pas un peu susceptible!) Elle prend les rendez-vous par téléphone, me répète ce que dit l’interlocuteur. Elles se glisse dans le dos de quelqu’un qui me parle pour articuler à vois basse en cachette. Jamais elle ne s’agace de répéter, jamais elle ne s’agace de ma fatigue, ou de mon agacement, certains soirs, qui font que je bute sur les mots, que je peine à suivre. Grâce à elle je peux me passer de mes appareils à certains moments de la journée, sans éprouver de manque… »

Extraits tirés du livre de Jacques BARDIN

Sur mes deux oreilles

disponible à la bibliothèque de l’ALDSM

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