Le « grand ponte » ou ce qui pourrait être une blague…

« Profitant de mon installation à Paris, j’ai pris rendez-vous avec un « grand ponte », dans un hôpital parisien.

Dans la salle d’attente, qui ce jour-là mérite amplement son nom, des magazines aux coins cornés. J’ai le temps de lire Modes et travaux ; Cinquante millions d’amis et Intérieurs suédois. Enfin, le « grand ponte » m’appelle. Il s’installe dans un fauteuil basculant qui semble lui donner un grand plaisir. Il tourne vers lui un gros écran d’ordinateur. Il ne me regarde pas. Il me demande tout un tas de renseignements sur ma vie, ma profession, l’origine de ma surdité. Il tape sur son clavier. Puis il appelle son assistant.Lequel m’entraine à l’autre bout de l’hôpital pour un 2047ème audiogramme. Nous remontons.Nouvel arrêt dans la salle d’attente. Je sais désormais tout du point de croix, du teckel à poil ras et du style Gustavien.

Le « grand ponte » me hèle depuis la porte. Nous nous retrouvons dans son bureau. Il consulte l’audiogramme, compare avec les notes qu’il a enregistré sur son ordinateur, et me dit cette phrase, absolument authentique, et sur un ton catégorique : « vous ne pouvez pas faire ce que vous faites « .

Un « grand ponte » me dit que mon métier, ma vie quotidienne sont médicalement impossibles. Je ne peux pas faire tout ce que je fais. Je ne peux pas faire cours, ni rencontrer les parents d’élève, ni discuter avec Madame la Proviseure, ni conduire mon scooter, ni aller au cinéma, ni visiter les USA avec ma compagne, ni commander une tête de veau au restaurant voisin. C’est médicalement impossible. Encore une fois le corps médical me traite de simulateur.

J’ai mis plusieurs jours à m’en remettre. »

Extrait du livre de Jacques BARDIN :

Sur mes deux oreilles

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