André y Dorine

Lorsqu’on est malentendant, aller au théâtre exige de sélectionner, les lieux, la programmation, les spectacles. Le hasard qui conduit à de belles surprises, n’a qu’un petit rôle à jouer. Il est parfois, voire souvent nécessaire de compléter les informations lues sur le descriptif par un contact avec le lieu proposant la pièce : des spectacles annoncés sur-titrés peuvent l’être de façon partielle s’ils sont franco-quelque chose et bon nombre de spectacles conseillés au public malentendant car très visuels, se révèlent très et trop musicaux pour être pleinement appréciables. Vu l’énergie à dépenser en amont, il peut être tentant de renoncer.
Mais, de très belles pièces existent et confortent dans l’idée que le théâtre peut être parfaitement accessible et intégralement apprécié comme monsieur et madame Lambda et leurs enfants.

André y Dorine, de la compagnie espagnole Kulunka theatro, en est l’illustration parfaite. Tout le spectacle se déroule sans aucune parole, sans aucune voix off, sans aucun mot écrit. Au risque d’aller vers la prétention et la mièvrerie à la fois, le seul langage utilisé est celui du cœur, des émotions. Le décor est minimaliste, le seul son est celui du violoncelle de Dorine et de la machine à écrire d’André. Les personnages sont interprétés par seulement une actrice et deux acteurs portant des gros masques à gros nez et à l‘expression figée. Néanmoins par leur jeu, par la mise en scène, de nombreuses émotions émanent de leurs personnages : on rit franchement, on pleure doucement, on est surpris, parfois la gêne est présente, parfois la colère….le tout en une seule pièce d’une heure qu’on ne voit absolument pas passer.

L’histoire est basique, simple : un couple, un peu usé par la routine instituée au fil des années, se chamaille, se taquine par agacement réciproque : Dorine donne de violents coups d’archet lorsqu’André écrit sur sa machine à écrire et André éprouve un malin plaisir à taper puissamment sur les touches de sa machine lorsque Dorine se met à jouer du violoncelle. Les deux se disputent l’attention de leur fils unique lorsqu’il leur rend visite, ce qui bien évidemment l’excède et le pousse à écourter ses passages au domicile parental.

Dorine est petit à petit mais inexorablement touchée par la maladie d’Alzheimer. André l’accompagnera alors au mieux de ses possibilités, renonçant parfois à lutter, ce que le fils admettra difficilement tout en mettant en place des solutions d’aide. L’amour unissant ces personnages qui s’était un peu effiloché, resurgit et se renforce au fur et à mesure de l’avancée de la maladie. L’évolution et les différentes étapes (déni, acceptation….) sont parfaitement décrites par des astuces scéniques.

Des flash-back, joués sur l’avant-scène permettent de comprendre l’histoire du couple, de cette famille ; ils offrent aussi une respiration bienvenue vu l’intensité des émotions et sentiments éprouvés. La forte empathie pour chacun des personnages à chaque moment de la pièce est indéniable.

Cette troupe réussit haut la main le pari fou de nous faire comprendre une histoire sans qu’un seul mot ne soit dit, ne soit écrit, « simplement » en suscitant la projection de nos propres émotions en communion avec les autres personnes du public.

Cette pièce m’a beaucoup touchée ; les joues étaient humides à la sortie, la parole rare au début du debriefing avec les amies puis plus fluide en se souvenant des situations burlesques, des moments très drôles.

Et surtout, j’ai eu le sentiment de pouvoir ENFIN profiter pleinement d’une pièce de théâtre, d’être à égalité avec toute personne du public (souriant et aux joues humide aussi ! ), de pouvoir discuter avec les autres personnes sans qu’elles aient besoin de m’expliquer des passages que je n’aurai pas saisi.

Une magnifique pièce par le contenu et par la forme permettant une parfaite accessibilité pour les personnes malentendantes sans que celles-ci n’aient à faire d’effort en amont ou pendant la pièce.

Gracias por todo André y Dorine !

Rachel

Pour plus d’information :https://kulunkateatro.com/fr/portfolio/andreetdorine

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